Faire œuvre utile pour rebâtir le ciel
13 août 2021
À noter que le Conseil a adopté la langue inclusive dans le cadre de cet article, à la demande des artistes.
Depuis sa parution il y a bientôt un an, l’œuvre Rebâtir le ciel de Simon Émond (iel) et Michel Lemelin (il/iel) ne cesse de faire réagir le lectorat qui la parcoure. Recueil de témoignages intimes provenant de membres de la communauté LGBTQIA2S+*, Rebâtir le ciel a non seulement contribué à transformer la vie de plusieurs personnes, mais il a même bouleversé la trajectoire de ses propres signataires.
Les points de comparaison avec Rebâtir le ciel sont peu nombreux. D’une part, on y lit les dialogues intérieurs de dizaines de membres de la communauté LGBTQIA2S+ : d’une personne transgenre chez le gynécologue, d’une femme auparavant mariée qui sort du placard, d’une personne battue par des homophobes à la sortie d’un bar, entre autres.
D’autre part, on y dresse un parallèle entre l’héliocentrisme et les questionnements de genres et d’identités sexuelles dans une société hétéronormative. « Quand les scientifiques ont commencé à faire la démonstration que la Terre n’était pas le centre de l’univers, les premiers se sont fait ramasser solide […] C’est comme si on vivait une révolution de ce type-là par rapport aux genres », explique Michel Lemelin, auteurice du livre.
De plus, on nourrit le propos du livre avec une série de photos que Simon Émond a prises de façon intuitive en cherchant à faire jaillir la lumière de la pénombre. « Aujourd’hui, je fais un parallèle avec les placards dans lesquels on est enfermé quand on n’a pas fait son coming out. Si on fait une image de ça, on est dans le noir », affirme lia photographe.
Bref, l’œuvre est complexe, protéiforme. Elle célèbre la diversité humaine et surtout, elle redéfinit les contours d’une société sans forme binaire ni restriction d’identités, de genres ou de désirs.
Une expérience d’introspection
Fait particulier au sujet de la conception de cette œuvre, les témoignages initialement recueillis par Simon, après avoir lancé un appel sur les réseaux sociaux en 2018, ont eux-mêmes provoqué une période de grande introspection et de questionnement identitaire chez les deux créateurices. Un besoin de se révéler d’abord à elleux-mêmes. « D’un coup, tout était remis en jeu », lance Michel. « Et tout d’un coup, il n’y avait plus rien d’acquis », renchérit Simon.
Simon a été sérieusement malade. Son corps a probablement réagi à l’ampleur et à la quantité de messages qu’iel a reçus à la suite de son appel à témoignages. « Je me disais : “Tu ne peux plus taire ce que tu es si tu te lances dans ce projet-là. Ton identité vient avec” […] Ça faisait à l’époque environ 25 ans que je m’identifiais comme une personne cisgenre, alors que je n’étais pas du tout un homme », affirme-t-iel.
Les images qui viennent à son esprit pour décrire ce que Simon a vécu sont touchantes : « Quand j’ai décidé de faire Rebâtir le ciel, c’est comme si j’avais foutu ma maison en feu et que je n’avais pas attendu que l’autre soit construite avant de détruire l’ancienne. Moi, j’ai tout détruit. J’étais à la pluie et au vent et pendant que tu es à la pluie, tu souffres. Ce n’est pas le fun et le temps que tu construises une maison qui te convienne davantage, ça prend du temps. Et tout le processus de Rebâtir le ciel, ça m’a pris tout ce temps-là. »
Quand iel a écouté les témoignages, Michel a réalisé qu’iel avait enfoui certaines choses de son passé qu’iel croyait à tort déjà réglées. « Je les avais enfouies pour satisfaire le modèle patriarcal hétéronormé. Si je réécoutais les témoignages aujourd’hui, j’irais encore plus loin parce qu’à l’époque, j’étais moi-même un peu à la même place que ces gens-là », dit cellui qui a d’ailleurs adopté le terme « auteurice » pour se définir au fil du projet.
Une vague de solidarité
L’invitation de Simon a créé une déferlante sur les réseaux sociaux au moment de démarrer le projet, qui s’est poursuivie de plus belle lors du lancement de l’œuvre. « En plus de tous les commentaires, je dirais qu’il y a vraiment eu un cercle d’entraide queer régional, dit Simon. Les gens voulaient nous aider dans la diffusion. » Avec un grand nombre d’histoires en provenance de personnes habitant hors des grands centres, les auteurices ont senti que plusieurs communautés LGBTQIA2S+ de différentes régions ont été interpellées.
Par le biais d’une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec, le projet de Simon et Michel trouvera un nouveau souffle cet automne. Cent exemplaires du livre seront offerts dans les bibliothèques et cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean, d’où sont originaires les deux artistes, ainsi que dans des organismes communautaires.
« Avec ça, il y aura une médiation électronique pour inviter les gens à avoir un rapport avec l’art contemporain et mieux comprendre ce qu’ils vivent à travers l’œuvre pour être de meilleurs alliés dans un contexte communautaire et mieux desservir la communauté LGBT », ajoute Simon.
Poursuivre la révolution
S’il n’y a pas de suite déjà déterminée à Rebâtir le ciel, les deux créateurices entendent continuer la petite révolution entamée par le livre à l’intérieur d’autres avenues, notamment d’exposition photo pour Simon et d’écriture pour Michel. De plus, iels poursuivent leurs efforts afin de favoriser une meilleure connaissance des réalités des personnes non binaires, notamment dans le milieu des arts.
« Ça demande du courage, d’être un·e artiste non binaire. Au Québec, en photographie contemporaine, je suis une des rares personnes avec le regard et l’expérience d’une personne non binaire qui fait de la création, et pour qui le travail est subventionné et diffusé. Ce regard-là est important parce que c’est une démarche différente du travail artistique », indique Simon. La qualité et la densité du travail artistique offert par des membres de la communauté LGBTQIA2S+ sont, selon l’artiste autodidacte, souvent sous-interprétées. « Il faut toujours ficeler notre travail dans les appels de dossiers, dans une optique que les gens cisgenres vont comprendre ce que nous faisons », soutient-t-iel.
Avec la volonté de voir émerger un plus grand nombre d’opportunités pour les artistes non binaires et trans, Michel et Simon assurent que leur travail, tout comme leur discours, demeurera un questionnement de la posture patriarcale et binaire et une invitation à laisser émerger de nouveaux paradigmes.
* LGBTQIA2S+ est un acronyme qui fait apparaître diverses identités de genre et d’orientation sexuelle, par exemple : lesbienne, gais, personne bisexuelle, trans, queer, en questionnement, intersexe, personne asexuelle, personne bispirituelle (2S), etc.
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