Quand l’imaginaire des artistes nourrit celui des jeunes
*Ce texte a été publié originellement sur le site du journal Le DevoirCe lien s'ouvrira dans une nouvelle fenêtre
On ne soulignera jamais assez l’importance d’exposer nos enfants dès le plus jeune âge au monde de la culture, pour leur éveil personnel ou pour susciter de nouvelles passions et vocations. Dans ce domaine, le Conseil assure un rôle essentiel en soutenant et en accompagnant les artistes jeunesse de tous bords dans leurs explorations créatives.
Au-delà d’une aide financière qui facilite les recherches et la création, c’est une forme de reconnaissance qui est offerte à celles et ceux qui sont appelés à forger l’identité culturelle des prochaines générations, et dont le travail n’est pas toujours estimé à sa juste valeur. Quatre artistes témoignent de l’importance qu’ont pu avoir les bourses du CALQ dans leurs démarches, de la création de leur œuvre à sa diffusion.
Le Conseil des arts et des lettres du Québec invite les artistes à compléter la section Retombées via Mon Dossier CALQ Ce lien s'ouvrira dans une nouvelle fenêtre à la conclusion de chacun de leurs projets.
Cette section permet au Conseil d’être mieux informé des retombées des projets artistiques soutenus et de mettre en valeur les accomplissements qui en ont découlé.
Sophie Casson - Helen’s Birds
Imaginée par l’autrice canadienne Sara Cassidy, l’histoire d’Helen’s Birds a mis Sophie Casson face à un nouveau défi : raconter, sans aucun texte, le deuil d’une jeune fille aux prises avec la perte soudaine de sa vieille voisine et amie. « J’ai dû effectuer un travail de scénarisation, ce que je n’avais encore jamais fait », explique l’illustratrice montréalaise qui a reçu une bourse en 2017.
« Avec cette aide, j’ai pu prendre le temps de faire un travail exploratoire et de peaufiner ma technique d’illustration, poursuit Sophie Casson. En livres jeunesse, les avances des éditeurs couvrent rarement le temps qu’on a besoin de prendre pour faire un livre. »
Au terme d’un an de travail, Helen’s Birds a été publié en 2019 chez Groundwood Books avant d’être retenu dans la sélection canadienne de l’International Board on Books for Young People (IBBY).
Cette organisation internationale, qui facilite l’accès des enfants à la littérature à travers le monde, a salué les « tonalités chaudes et texturées » qui « expriment avec émotion cette histoire d’amitié et de perte » mise en images par Sophie Casson. À la suite de cette prestigieuse sélection, des exemplaires d’Helen’s Birds ont été envoyés en Italie pour venir garnir les rayons de la bibliothèque pour enfants migrants de l’île de Lampedusa.
« Les livres silencieux sont un outil précieux pour les enfants qui ne lisent pas bien ou qui parlent d’autres langues », souligne Sophie Casson, qui anime régulièrement des ateliers dans les écoles pour dévoiler aux plus jeunes les dessous de son travail. « Il est important que les enfants puissent voir que les artistes existent et exercent dans un univers concret auquel ils ont accès », dit-elle.
Depuis la sortie d’Helen’s Birds, l’illustratrice a mis ses talents au service d’une autre autrice, Heather Camlot, pour raconter l’affaire Dreyfus aux enfants dans The Prisoner and The Writer. Destiné aux 7 à 12 ans, le livre sortira en français chez Isatis en 2023, à l’occasion du 125e anniversaire de la publication du J’accuse...! de Zola. Un beau projet pour lequel Sophie Casson a bénéficié d’une nouvelle bourse.
« Cette contribution financière permet aux artistes d’aller plus loin dans l’exploration de leur langage plastique, mais aussi d’obtenir une reconnaissance dans l’univers des arts professionnels, confie la diplômée en design graphique de l’UQAM. C’est important, particulièrement dans la littérature jeunesse, qui peut parfois être perçue comme un art mineur. »
Christine Dallaire-Dupont - Un billet pour nulle part
Avec ses dialogues minimalistes incitant à la réflexion et ses dessins expressifs évoquant l’univers du manga, Christine Dallaire-Dupont, alias Nunumi, a réussi son entrée dans le monde de la BD jeunesse. Publié en 2019 chez Front froid, Un billet pour nulle part a reçu un très bel accueil public et critique. Le récit de ce voyage vers l’inconnu d’une fillette et de son esprit de compagnie a récolté en route une nomination pour le prix Aurora-Boréal 2020, dans la catégorie Meilleure bande dessinée.
C’est dans le cinéma d’animation que Nunumi s’est fait la main sur plusieurs productions, en travaillant notamment comme artiste de scénarimage (storyboard). En quête de plus de liberté créative, la Montréalaise s’est tournée vers la bande dessinée. La bourse, qu’elle a décrochée en 2018 pour développer Un billet pour nulle part, l’a aidée à se bâtir une identité artistique. « Ça m’a donné des ailes, dit-elle. Avec cette aide, j’ai eu un an d’autonomie pour faire mes pages et mes recherches. »
Une fois publiée, son œuvre a bien voyagé, des festivals BD de Montréal et Québec jusqu’à Tokyo. « La bourse du CALQ m’a permis de budgéter un voyage au Japon et de monter le collectif Itai Doshin, regroupant des artistes japonais et québécois », raconte Nunumi. Les festivals ont aussi été l’occasion pour la bédéiste de partir à la rencontre de son jeune public pour avoir un retour instructif sur son récit, qui laisse beaucoup de place à l’interprétation.
« L’un des personnages ne s’exprime qu’à travers des gribouillis; il faut s’imaginer ce qu’il répond. Et j’ai trouvé que le jeune public donnait une interprétation souvent plus proche de mon intention d’origine que les lecteurs plus âgés », confie l’autrice, dont la BD a poursuivi son bonhomme de chemin.
En 2021, Télé-Québec a introduit Un billet pour nulle part à ses trousses de littérature pour les 2e et 3e cycles du primaire. « La BD est une belle porte d’entrée pour faciliter l’envie de la lecture », se félicite Nunumi, qui planche désormais sur la réalisation de son premier long métrage d’animation, Katak, le brave béluga, attendu en salles au courant de 2023.
Sylvie Gosselin - Histoires d’ailes et d’échelles
Comédienne ou plasticienne ? Ne lui demandez pas de choisir. Depuis le début des années 2000, Sylvie Gosselin marie ses deux passions dans des spectacles pour enfants qui lui laissent tout le loisir de développer son amour pour le bricolage. Il y a eu La couturière en 2004, puis Contes Arbour en 2013, dans lequel elle a rendu hommage à la chroniqueuse de La boîte à surprise, Madeleine Arbour, qui lui a donné le goût de « fabriquer des choses à partir de trois fois rien ».
Pour Histoires d’ailes et d’échelles, créé en 2018, Sylvie Gosselin s’est intéressée à un autre univers, celui du peintre allemand Paul Klee. « J’avais envie de parler aux enfants de cet artiste qui trouvait l’inspiration dans les dessins de son fils et qui voulait peindre l’invisible », explique la diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal et bachelière de l’UQAM en arts visuels.
Avec le soutien du Conseil, qui lui a alloué deux bourses en recherche et création en 2015 et 2017, Sylvie Gosselin a pu monter un parcours ludique invitant les enfants à se promener entre des installations, avec un dossard inspiré des marionnettes de Paul Klee. « Je travaille beaucoup dans le recyclage et l’assemblage de vieux objets, ce qui ne me coûte pas cher en matériel, souligne-t-elle. Mais les bourses me permettent de toucher un revenu et d’allouer un cachet à mes collaborateurs. »
Sa plus grande fierté est d’avoir réussi à bien faire tourner Histoires d’ailes et d’échelles, malgré la pandémie qui a contrarié ses plans de départ. La comédienne a pu jouer son spectacle au Festival de Casteliers et dans plusieurs maisons de la culture à Montréal. Engagée depuis 20 ans dans le projet Une école montréalaise pour tous, qui soutient les écoles en milieu défavorisé, Sylvie Gosselin s’est également rendue à la rencontre de son jeune public.
« Je travaille beaucoup avec les enfants. Ils viennent voir mon travail, mais je vais aussi sur leur territoire, dans les écoles. J’ai remarqué qu’ils étaient souvent intimidés par l’art au départ. Mais ils peuvent recevoir une vraie leçon de confiance et d’estime de soi à partir d’une expérience artistique », explique la comédienne qui prépare actuellement un nouveau spectacle bâti autour d’un « théâtre de papier » inspiré par un récent voyage au Japon.
Claude Samson - Faut toujours faire comme les grands
Nul besoin de présenter Les Petites Tounes, qui font danser nos enfants sur des refrains accrocheurs depuis maintenant plus de deux décennies. Avec ses trois collègues, Claude Samson se prépare à repartir en tournée un peu partout au Québec, pour accompagner la sortie du huitième album de la joyeuse bande, Faut toujours faire comme les grands, attendu au début de 2023.
Le multi-instrumentiste et chanteur des Petites Tounes a pu financer la préproduction de ce nouveau spectacle grâce à une bourse décrochée dans le cadre d’un partenariat entre le CALQ et la Ville de Laval en collaboration avec Culture Laval. « On aurait pu le monter sans subvention, mais ça nous aurait pris beaucoup plus de temps et ça aurait été plus compliqué », souligne-t-il.
Au-delà des moyens financiers, ce soutien institutionnel apporte un certain crédit aux musiciens jeunesse, dont le travail n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur. « On essaie de briser les préjugés qu’on peut avoir sur la musique pour enfants. Si on met de côté les paroles, ça reste de la musique, et la musique n’a pas d’âge », insiste Claude Samson, connu pour être aussi le guitariste de Vilain Pingouin.
Dès le début, celui-ci avait dans l’idée de faire « autre chose que simplement de la musique pour enfants », avec son ancien collègue de CPE, Carlos Vergara.
« On est un groupe rock, martèle-t-il. On fait beaucoup de clins d’œil à la musique des grands, des Beatles à AC/DC. Ça peut toucher les parents, et ça peut aussi être une porte d’entrée pour les plus jeunes. Surtout aujourd’hui, alors que les enfants écoutent beaucoup plus la musique de leurs parents qu’à mon époque ».