Documentaires québécois : quand la réalité transcende la fiction
*Ce texte a été publié originellement sur le site du journal Le DevoirCe lien s'ouvrira dans une nouvelle fenêtre
Les documentaires d’auteur jouent un rôle crucial dans notre société et, grâce à la multiplication des plateformes de visionnement, ils sont plus accessibles que jamais. Alors que les Rencontres internationales du documentaire de Montréal viennent tout juste de prendre fin, nous nous entretenons avec trois figures de proue de cette branche essentielle du cinéma, dont les œuvres ont bénéficié du soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec.
Le Conseil des arts et des lettres du Québec invite les artistes à compléter la section Retombées via Mon Dossier CALQ Ce lien s'ouvrira dans une nouvelle fenêtre à la conclusion de chacun de leurs projets.
Cette section permet au Conseil d’être mieux informé des retombées des projets artistiques soutenus et de mettre en valeur les accomplissements qui en ont découlé.
Parce qu’il nous force à regarder la réalité en face en donnant la parole aux marginalisés, en dénonçant les injustices ou en levant le voile sur les errances et les abus, le cinéma documentaire est un formidable outil de changement social. Pourtant, ses artisans passent la plupart du temps sous le radar. Loin des projecteurs, ils évoluent dans l’ombre et doivent composer avec des budgets précaires.
C’est là qu’entre en scène le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Depuis plus de 25 ans, cette société d’État soutient la démarche artistique des créateurs d’ici et fait rayonner leur travail. Sa contribution financière permet à nos documentaires d’auteur de se faire connaître ici et à l’international, et de remporter nombre de prix importants. Ce qui explique ce succès : un riche passé culturel lié à l’ONF, la grande diversité des points de vue offerts par nos artisans, qu’ils soient québécois, autochtones ou issus de l’immigration, une présence accrue des femmes à la réalisation et à la production, et les propositions particulièrement innovantes des créateurs émergents. Autant de bonnes raisons de se lancer à la découverte de cette expression si actuelle du septième art, à commencer par trois longs métrages remarquables, présentés par leurs créateurs.
Errance sans retour (2020) - Réalisation : Olivier Higgins, avec la collaboration de Mélanie Carrier
Ce film bouleversant relate l’exode de 700 000 réfugiés rohingya ayant fui le Myanmar pour trouver asile dans le camp Kutupalong, au Bangladesh. Une prison à ciel ouvert, qui a la triste réputation d’être la plus peuplée du monde. Captifs d’une crise humanitaire sans précédent, les membres de cette communauté musulmane persécutée et menacée de génocide nous font vivre leur quotidien, balloté entre un passé qui ne les quitte pas, un présent empreint de désespoir et un futur plus qu’incertain. C’est le photographe Renaud Philippe, au retour d’un séjour au camp, qui a donné l’idée du film à Olivier Higgins et à Mélanie Carrier, sa conjointe et partenaire de travail. « Ses photos nous ont touchés, nous lui avons proposé de repartir avec lui au Bangladesh », explique le réalisateur. L’expérience a été marquante. « Ce qui se passe là-bas dépasse l’injustice, on est dans la tragédie humaine. »
Pour traduire cette détresse, il emprunte la voie de la poésie plutôt que celle du reportage en faisant longuement parler des images d’une rare puissance. Il estime que, sans l’apport inestimable du CALQ, cette démarche artistique aurait probablement été éliminée au montage. Lauréat de plusieurs prix remportés au Festival de cinéma de la ville de Québec, au Festival de cinéma international en Acadie et à DocsMx au Mexique, le documentaire a été sélectionné aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal. « Nous apprécions tout ça, mais il est difficile de se réjouir en raison de la gravité du sujet. Ce que nous souhaitons avant tout, c’est que ce film provoque une prise de conscience. »
Sur les toits Havane (2018) - Réalisation : Pedro Ruiz
Le manque criant de logements au centre de la capitale cubaine a donné lieu à un phénomène de migration verticale : des citoyens résilients s’installent sur les toits, où ils vivent à l’abri des regards. Avec ce film à la cinématographie somptueuse et à la musique envoûtante, Pedro Ruiz dépeint comment ils cherchent leur bonheur entre ciel et terre tout en jouissant d’un point de vue unique sur leur ville. C’est après plusieurs séjours à La Havane que le documentariste remarque les stratagèmes déployés par des exilés de la campagne pour habiter l’inhabitable. « Mon film est une exploration de l’intérieur de ces êtres qui peuplent les toits de la ville. Non seulement je me déplace à travers les fissures et les ruines des habitations de fortune, mais je me promène aussi dans leurs habitations les plus intimes, celles de l’être. » Les images inoubliables de Pablo Ruiz transcendent la beauté de La Havane en révélant ses fractures.
Il faut dire que le créateur, diplômé en communication sociale, a été photojournaliste avant de se consacrer au cinéma. Épris des mots, il peaufine ses scénarios en se faisant conseiller par l’écrivaine Monique Proulx. « Chaque semaine, je parle pendant une heure avec elle, et chaque heure équivaut à une année d’université ! » Sur les toits Havane a fait le tour de la planète cinéma et a remporté entre autres le prix du jury du American Documentary Film Festival à Palm Springs, de même qu’un prix Génie et un prix Iris. « Je suis né au Venezuela, je vis maintenant au Québec, et je trouve formidable qu’on puisse être ainsi soutenu pour mener des projets qui nous tiennent à coeur. »
Pour se procurer le film : mazonequebec.com Ce lien s'ouvrira dans une nouvelle fenêtre
Le dernier souffle, au coeur de l'hôtel Dieu de Montréal (2017) - Réalisation : Annabel Loyola
Avec ce film émouvant, Annabel Loyola capte les derniers moments de l’Hôtel-Dieu, 375 ans après sa fondation par Jeanne Mance. Elle nous plonge dans un univers où la vie et la mort se côtoient en huis clos et démontre comment les principes fondateurs de cette institution – compassion, dévouement, humanité – ont transcendé les siècles. Le fil conducteur : la pionnière Jeanne Mance, à laquelle la documentariste a déjà consacré deux autres productions. D’où lui vient cet intérêt pour le personnage ? « En 2006, une conférence donnée à l’occasion du 400e anniversaire de la naissance de Jeanne Mance m’a permis de découvrir qu’elle avait non seulement fondé l’Hôtel-Dieu, mais aussi cofondé Montréal avec les fonds de l’institution. C’est ce qui m’a décidée à me lancer sur ses traces. »
La documentariste, qui est originaire de Langes, la ville natale de Jeanne Mance en Champagne, est estomaquée lorsqu’on annonce, en 2013, que l’institution sera vendue lorsque les patients seront transférés au CHUM. « C’est l’âme de Montréal, c’est là où tout a commencé ! J’ai donc décidé de capter la mémoire vivante de cette institution avant que tout ne s’arrête. » De là naît Le dernier souffle, au coeur de l’Hôtel-Dieu de Montréal, qui a été chaleureusement reçu de Montréal à Shanghai. « J’ai fait de l’Hôtel-Dieu un personnage à part entière : il est malade, on entend son pouls, il respire encore. Son histoire est inscrite dans chaque chambre, car l’esprit de Jeanne Mance, porté par les soeurs qui ont été ses héritières, est encore là. »
Une fenêtre sur le monde
Trois artistes engagés, trois longs métrages inoubliables : ce n’est qu’un aperçu de l’exceptionnelle richesse du patrimoine documentaire québécois. Année après année, des visionnaires tels que Kyoka Tsukamoto, Dominic Leclerc ou Thierry Loah et ses créations en réalité virtuelle – sans compter les Hubert Caron-Guay et Christian Fournier, qui ont fait leur marque avec de remarquables films sur le phénomène migratoire – remportent des prix prestigieux et figurent dans la programmation des plus grands festivals du monde. C’est avec fierté que le CALQ investit dans leur imaginaire et contribue à la création d’oeuvres qui nous ouvrent au monde et qui permettent à la communauté internationale de découvrir le nôtre.