Transcription
On connaît le dramaturge Michel Marc Bouchard pour ses pièces de théâtre aussi emblématiques que provocantes. Des Feluettes aux Muses Orphelines, en passant par Tom à la ferme, ses histoires questionnent notre identité et nous entraînent dans des aventures dont on ressort chaque fois bouleversé. Dans ses œuvres, Michel Marc Bouchard réussit à marier drame et comédie en nous faisant prendre conscience de ce qui nous unit, au-delà de nos différences.
En 2019, le Conseil des arts et des lettres du Québec invitait l’auteur à rencontrer la journaliste Odile Tremblay à la Grande Bibliothèque, le temps d’une discussion devant public. Pour le plaisir de revivre cette conversation, on vous propose, avec ce balado, de plonger dans l’imaginaire de Michel Marc Bouchard.
Odile Tremblay (OD) : Alors je veux dire que d’abord que je suis honorée et ravie d’avoir cet entretien avec Michel Marc Bouchard que j’estime et qui est un être sensible, intelligent, à l’écoute de sa société, avec des antennes, et aussi qui représente un peu une sociologie du Québec dans son œuvre. Je ne sais qu’il ne voudrait pas dire ça, mais moi je le vois un peu comme un sociologue de la dramaturgie.
Michel Marc Bouchard (MMB) : Est-ce que je peux te retourner le compliment? Parce que depuis longtemps je te lis, depuis longtemps j’ai une admiration sans borne pour toi, et c’est pour moi un véritable honneur que l’on ait cette causerie ensemble. C’est un rêve. Voilà.
OD : Écoute, ça tombe bien que ce soit nous deux.
MMB : Ça devrait bien se passer.
OD : La première question que je voudrais poser, j’aimerais que vous parliez vraiment de votre berceau, parce que du berceau vient la lumière.
MMB : Alors je viens d’un milieu rural, catholique, de paysans, de travailleurs, d’ouvriers. Je viens d’un monde où la littérature, le monde littéraire était absent dans le sens que, à part l’église où on nous racontait des choses étranges qui se passaient ailleurs, dans des pays très chauds, je n’ai pas eu accès à une littérature comme telle. Mais par contre, ma famille comme telle, on est seulement quatre, mais mes tantes ont eu quand même des 10, 12, 13, 14 enfants. Ma mère était dans la dernière de cette famille-là. Et de l’autre côté, mon père, je l’ai dit souvent, mais je le répète parce que c’est comme, c’est mon Gabriel Garcia Márquez à moi, ma grand-mère s’est mariée quatre fois. La belle-mère de mon père, mais qui était la femme de mon grand-père, alors moi je l’ai connue comme étant ma grand-mère et elle a marié trois veufs. Ils sont tous morts naturellement jusqu’à date.
OD : Elle ne les a pas assassinés.
MMB : C’est tout ce qu’on sait. Alors, ce qui veut dire que j’ai été élevé dans une espèce de cacophonie, de polyphonie et en plus de ça, toutes ces familles-là et ces gens-là représentaient quand même un spectre de la condition sociale qui était quand même assez large. Il y avait autant… J’avais un oncle qui était cardiologue, autant que j’avais un oncle qui était vraiment trappeur. Il y avait de tout, de tout. Et pour exister dans cet univers-là, on devait savoir conter, raconter quelque chose parce que, comme on habitait, mes parents, chez nous, on habitait la maison qui était annexée à mon grand-père, dans le sens, ce qui veut dire qu’on était souvent chez mon grand-père le dimanche. C’était pas… Le dimanche, c’était pas devant chez nous, c’était pas une ou deux voitures, c’était vraiment un stationnement. Il y avait un immense parking et voilà, alors tout le monde veillait très tard et tout ça et c’était à celui qui allait pouvoir raconter le mieux la possibilité d’exister. Ce qui veut dire que tu avais les meilleurs farceurs, t’avais les dramatiques, t’avais les potineux, t’avais… Alors, ce qui fait que, je suis né dans cet univers-là. L’oralité, la langue est devenue, si on peut dire, mon premier instrument.
OD : On sait aussi que la région catholique est très présente dans tes œuvres, déjà bon, on sait dans Les Feluettes,mais même jusqu’à La divine illusion et... Qu’est ce que ça a représenté pour toi, l’espèce de rituel religieux?
MMB : J’ai jamais été, dans mon travail, j’ai jamais voulu être véritablement anticlérical. Ça fait partie de mon vocabulaire, ça fait partie de ma culture, ça fait partie de mon éducation, ce qui fait que tout le rituel pour moi, puis étant un homme de théâtre, vous allez comprendre que ça m’intéressait très, très, de toute façon quand j’étais assez jeune… Tout ce qui était, exemple la Fête-Dieu, j’ai connu ça. Tout ce qui était la Veillée pascale qui durait jusqu’à plus soif, où on allait chercher l’eau de source après, qui était l’eau supposément bénite naturellement par la résurrection du Christ. Alors, il y avait toute une codification de la société que je trouvais quand même assez fascinante parce que, comme j’ai dit, je l’ai pas vécue, moi, dans l’oppression, j’ai pas vécu une période noire, si on peut dire, de l’Église. J’ai plutôt vécu, surtout la génération de ma mère, une espèce de révolution, la Révolution tranquille, eh bien c’était beaucoup plus mes parents. Ce qui fait que c’était ça, c’était tout ce bagage-là d’une forme de spiritualité, d’un à-côté, d’une marginalité qui lui me fascinait, mais dans comment on le racontait, et non pas comment il était subi par les gens.
Très très tôt, j’ai commencé à faire du théâtre. Je m’occupais de la troupe du séminaire, puis ce qui fait que j’ai une vision très heureuse de mon adolescence à part le fait que je ne pouvais pas dire publiquement que j’aimais tel garçon ou tel garçon. Mais même par rapport à l’homosexualité, puis, je pense, je l’écris en partie dans Les Feluettes, j’ai vécu de véritables histoires d’amour et assumées des deux côtés à l’âge de 13, 14, 15, 16 ans. Et en plus de ça, eh bien comme j’étais à la campagne, comme on avait un chalet, comme on avait une plage, comme on avait un champ chez nous, eh bien disons que les images que je me garde de mes premières baises sont assez idylliques. Alors, ce qui fait que, c’était assez heureux, à part le fait qu’effectivement je pouvais pas publiquement… Je suis-tu en train de dire ça, moi là?
OD : Eh oui!
MMB : On est entre nous autres!
OD : Et y’a du monde là! Mais est-ce que le secret, depuis toujours, est pas un grand moteur de la dramaturgie?
MMB : Eh bien absolument, et puis c’est un moteur extrêmement ludique parce que si, je veux dire, tu partages le secret avec le public et le public attend qu’il soit révélé, c’est extraordinaire.
OD : Ben oui! Ça peut être comique ou tragique, un secret, mais c’est là, t’sais.
MMB : Mais exemple, je pense que, je veux dire, j’ai jamais fait… je devrais pas dire du millage, mais je me suis jamais autant amusé, d’une certaine façon, à permettre à ce que les personnages parlent presque d’une façon tchékhovienne, mais en québécois, dans la dernière pièce, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé parce que tout repose sur un mensonge qui sera révélé. La vérité sera révélée à la fin de la deuxième partie, ce qui fait que, et à partir de ça, mais sauf que pendant quoi, l’heure 40 (minutes) avant que dure le spectacle… Il y a aussi, ça a été un ressort pour moi dans Les muses orphelines parce que Isabelle est détentrice d’un secret, mais qui lui donne une force d’émancipation extraordinaire. C’est pas nécessairement constant tout le temps parce que j’ai pas touché au secret ou au mensonge dans Christine, la reine-garçon ou dans La divine illusion. Dans Tom à la ferme, oui, j’ai uniquement fonctionné sur la loi du pire, c’est-à-dire le mensonge en amène un autre, en amène un autre, en amène un autre.
OD : Il y a toujours des travestissements dans votre théâtre, il y a des faux-semblants, il y a des jeux de miroirs. On dirait que vous êtes le prestidigitateur du théâtre. Qu’est ce que vous voulez escamoter?
MMB : Bien, je pense qu’au départ il y avait dans l’idée du jeu de ne pas être soi, mais d’être quelqu’un d’autre, il y avait là-dedans une forme de fuite. Il y a des auteurs qui ont eu cette espèce de talent là, d’être capable de regarder leur vie avec une presque, une précision chirurgicale. Moi, je l’ai comme… j’ai été beaucoup plus dans l’intuition et le fantasme plutôt que dans un regard véritable sur mon existence. Je pense, par contre, qu’en vieillissant, j’ai envie de me réconcilier avec ça. J’ai envie de me réconcilier avec une partie de moi-même, je dirais, sans tomber dans une psychanalyse là. Mais effectivement, les faux-fuyants, le mensonge, le travestissement, le pourquoi, exemple écrire sur Sarah Bernhardt ou écrire sur Christine de Suède, c’est parce que je me reconnais plus là-dedans à ce moment-là, quand je l’ai écrit, que de me reconnaître moi à 40 ans ou à 50 ans.
J’ai une pudeur fondamentale qui est que, j’ai toujours eu un problème avec le monde qui vont s’épancher sur la place publique. Puisque ça se dit, j’ai un côté protestant, je pense, plus que catholique, dans le sens que j’ai une gêne de faire en sorte que le moi devienne la création. Il est arrivé à des moments donnés où j’ai été face à un projet particulièrement, où je devais parler… Comment je dirais? J’avais décidé un peu de parler d’une blessure, en tout cas, de quelque chose qui m’affectait et ça a fait : non, si je fais ça, je vais devenir monsieur ça et ça m’intéresse pas véritablement.
OD : Le Lac-Saint-Jean, il sert beaucoup d’épicentre du monde.
MMB : Oui, c’est mon Péloponnèse à moi.
OD : C’est ton Péloponnèse. Et puis, au fond, comment justement on réussit, à travers un noyau familial, un centre du monde qui est la région d’Alma, comment on réussit justement à atteindre l’universel?
MMB : Premièrement, comme le dit Isabelle dans Les muses orphelines, je vais m’autociter : la plus belle affaire dans une famille, c’est de savoir aussi la quitter. Et de sens-là, le fait de partir quand même très tôt de ma région a fait en sorte que, comme Christine, je vais encore m’autociter, comme elle dit plus tard : est-ce que c’est mieux d’aimer son pays de loin, à savoir mieux l’apprécier, que d’y rester? Alors, ce qui fait que, oui, je l’ai traîné avec moi parce que, comme je disais, c’est mon Péloponnèse, à moi, dans le sens que c’est une région qui est le Lac-Saint-Jean, c’est une région quand même assez, qui a été assez longtemps isolée, mais il faut encore faire deux heures et quelque chose de forêt pour s’y rendre. Il y a une culture populaire qui a été, c’est sûr, comme n’importe quel… c’est moins isolé maintenant, à cause de la télévision, des médias, du net et tout, mais longtemps, c’était une langue en soi, une culture populaire en soi et chaque village était, si on peut dire…
T’sais, on avait toutes les grandes villes d’Athènes étaient là là. Toutes les grandes villes, c’est-à-dire de Grèce, étaient là, dans chaque village. Puis t’avais ton homme fort, t’avais la madame qui parlait trop, t’avais celle qui avait cocufié… T’avais une histoire dans chaque place, et chaque place avait son espèce de, comme je dis, de mythologie. Alors de ce sens-là, ça m’a… j’ai écrit sur quand même Roberval, Alma, Saint-Méthode, Saint-Ludger-De-Milot, mais n’en demeure pas moins que la région a été pour moi extrêmement inspirante. Et aussi, je dois dire que tout auteur au Québec, tout auteur en théâtre au Québec, se pose toujours la question avant de commencer une pièce, en quelle langue je l’écris. Et c’est fascinant ça, ce rapport-là, affectif ou non, conceptuel ou non, qu’on peut avoir avec la langue, ce qui n’est pas le cas d’un Français ou ce qui est pas le cas de…
OD : À moins que tu parles patois…
MMB : À moins que tu fasses… pis si un Français écrit en patois, je peux dire qu’il sera pas joué longtemps, dans le sens que, ici on se pose cette question-là. On a un rapport à la langue qui est particulier. Les différents dialectes portent en eux une affectivité, je dirais, alors ce qui fait que, le premier geste que tu poses, que je suis en train d’écrire présentement est, c’est comme bon… Là, je suis très québécois. Là après ça, quelqu’un amène, arrive avec un concept. Ça fait, bon, est-ce qu’il est plus intéressant que le personnage soit… Fait que bon, OK, je vais essayer d’amener ce concept-là en langue québécoise, ça donne bon. OK, je suis en train de perdre telle valeur de mots. Est-ce que… alors, ce qui fait que, on a ce, et je peux prétentieusement parler pour tous les auteurs québécois, on a ce rapport-là avec quelle langue parle mon personnage.
OD : On dit que le théâtre et le cinéma québécois sont beaucoup ceux de la quête du père. Peut-être le père représente le territoire perdu, puis peut-être que dans l’inconscient collectif, c’est la Nouvelle-France, mais dans le théâtre de Michel Marc, il y a la quête de la mère t’sais. C’est assez différent des autres parce que, c’est remarquable comment à peu près tout le monde cherche le père, puis lui, il cherche la mère. C’est, peut-être c’est la même chose, mais ça se décline différemment…
MMB : Je dirais qu’il y a une filiation pour le moment avec l’œuvre de Tremblay. Tremblay aussi est dans la quête de la mère. Je pense pas qu’il est dans la quête du père là, avec quelques scènes là. Je dirais que, le fait que, tantôt, au début, on a parlé des conteurs, mais on aurait dû plus parler des conteuses, que la parole était vraiment... J’ai vraiment été élevé par des femmes qui parlaient, un peu comme Tremblay, sa mère. Mais je vais aller même plus loin, Louis Hémon avec Madame Bédard. Il y a comme eu cette transmission-là, des conteuses. Par rapport à la mère, parce que, comme je fais un théâtre beaucoup, qui est de l’intime, je dirais le territoire intime est avant tout celui de maman que celui de de papa. Même, d’ailleurs, comment j’ai dit ça, j’ai quasiment dit ça comme un gars de Québec, alors je devrais dire : « peupa », « meuman » pour vraiment représenter ma région et ma maman à moi.
OD : Parce qu’il vient du Lac-Saint-Jean.
MMB : Oui, puis c’est, comment je peux dire? La tradition même du théâtre, en gros, a quand même été beaucoup plus inspirée par les personnages de femmes qu’elle a été inspirée par les personnages d’hommes. On se parlait de l’opéra qui joue présentement à l’Opéra de Montréal qui, ça fait deux opéras présentement, un à la suite de l’autre, où on a 18 minutes de femmes hystériques. Formidable, c’est formidable!
OD : Oui, mais ils viennent pas du Québec.
MMB : Ils viennent pas du Québec, mais dans le sens qu’il y a quand même, au-delà du Québec, je pense que la figure maternelle est une des figures les plus importantes de la dramaturgie. Au départ, il y en a même eu une qui a tué ses enfants, il y en a une qui… Je parle de la tragédie grecque, bien sûr…
OD : Quand vous êtes arrivé vraiment sur la scène montréalaise, c’était un moment de bouillonnement. OK, il y avait eu Tremblay qui avait déjà fait des pièces homosexuelles, puis là, ça commençait tout juste avec Being at home là, mais vous êtes arrivé exactement à ce moment-là où les gens commençaient à être prêts. Il y avait le féminisme qui naissait, mais qui… Et puis, il y avait aussi le mouvement prolibération des homosexuels qui se sentaient dans le placard depuis X générations. Donc, d’arriver dans ces moments-là, de libération, qu’est-ce qu’est ce que ça… Est-ce qu’on se sent une responsabilité? Comment ça fonctionne?
MMB : Non, pas du tout parce que… En tout cas, je me suis pas senti de responsabilité. Moi, tout ce que j’avais envie, c’était d’écrire une grande histoire d’amour dans laquelle, l’histoire d’amour qu’on m’avait jamais racontée, voilà. Puis, pour faire les recherches, et même j’ai recherché dans les monographies régionales, dans des annales et tout ce qu’on trouvait documenté chez les homosexuels, c’était soit la folie ou soit incarcéré. C’est les seules preuves qu’on avait, les seuls documents qu’on avait. Je fais une autre interprétation de ce moment-là entre Normand Chaurette qui a écrit Provincetown Playhouse et René-Daniel Dubois avec Being at home, et moi qui est arrivé après ça avec Les Feluettes. Il y avait, comme vous venez de le dire, le féminisme était très très fort à ce moment-là. Et il y avait comme un malentendu à la scène qu’on ne pouvait plus parler d’amour entre hommes et femmes. Il y avait comme, on aurait dit que tout ça était comme tabou. Arrivent les homosexuels qui vont parler d’amour. T’sais la pièce, quand même, Les Feluettes, le sous-titre c’est « ou, La répétition d’un drame romantique ». Et moi, après ça, quand je l’ai travaillée, j’en parlais avec Brassard. Je disais : Brassard, je prends les formes du théâtre populaire, dans le sens que je vais aller vers le mélo, je vais aller vers Marquise, Angélique des Anges. C’est-tu comme ça? Non, Angélique, Marquise des Anges, écoute, des romans-savons et en même temps, je vais apporter du baroque, je vais apporter une dimension carcérale pour faire en sorte que le spectacle se lie à plusieurs couches, mais on va créer une véritable émotion.
OD : Le théâtre dans le théâtre.
MMB : Le théâtre dans le théâtre. Pis, en plus de ça, j’étais pas vraiment, étant à Ottawa, j’étais pas vraiment dans un grand mouvement LGBT là.
OD : Un petit…
MMB : T’sais, je pense qu’ils étaient 12 dans l’association gaie.
OD : Ils se couchaient de bonne heure.
MMB : Ils étaient 12 et si on avait pu leur mettre un triangle rose, on l’aurait fait là, ce qui fait que c’était pas vraiment dans cet ordre-là. D’ailleurs, Brassard m’avait demandé, parce que Brassard dirigeait le Théâtre français du Centre national des arts à l’époque, et moi j’étudiais à Ottawa, je venais de finir mes études à Ottawa. Et puis, on prenait l’autobus pour venir à Montréal. Il m’a dit : te rends-tu compte du courage que ça te prend? J’ai dit : André, c’est pas une question de courage. C’est une question d’intégrité, pis tant mieux si mon époque me le permet. C’est tant mieux si mon époque est peut-être… Parce qu’il dit : tu sais, on va commencer à Fred-Barry, puis tu vas voir, pas sûr qu’on aille ben ben loin après. Puis, t’sais tu vas voir, ça va être le festival de la moustache pis du perfecto. Vous savez c’est quoi le perfecto? C’est une petite veste de cuir de l’époque avec bon… Il me dit : tu vas voir ça va être cuirette pas mal dans la salle.
OD : Mais c’est pas ça qui est arrivé.
MMB : C’est pas ça qui est arrivé. C’est devenu un immense succès populaire et après ça, eh bien on est passé comme j’ai dit souvent de Fred-Barry au TNM en l’espace d’un an. Après ça, bon la pièce a voyagé, etc. Et en plus de ça, moi, comme j’habitais pas à Montréal, je ne connaissais rien du show-business montréalais. T’sais, je suis pas un montréaliste, dans le sens que je suis pas un montréaliste. Et en plus de ça, je venais de finir l’université. J’avais des prétentions intellectuelles, je les ai encore, mais j’avais des prétentions plus fortes encore à ce moment-là, intellectuelles, et finalement, moi je suis arrivé dans ce monde là où y’avait un gros succès populaire. Je ne vivais pas ici, je vivais chez un ami. Et j’allais dans des soirées, tout le monde était mon ami soudainement. Franfreluche était mon amie, Janine Sutto était mon amie, Jean-Louis Millette était mon ami. Ben voyons, j’étais là… tout allait trop vite, pis en temps qu’universitaire, j’avais toujours comment je peux dire donc, tout ce qui était, j’étais snob! Tout ce qui était succès populaire ou succès, était comme, c’est pas normal, c’est pas bon, tu vas voir. Et avec Brassard au bout de… pis les critiques avaient été dithyrambiques. Brassard me demande un moment donné dans un party, je feelais pas, il me dit : tu feeles pas hein? Ah, j’ai dit non, moi je viens de me faire frapper par une van là, c’est comme c’est quoi cette affaire-là. Écoute, je dis moi, je pensais faire carrière, je viens de me cogner la tête au plafond. Et Brassard m’a répondu : écoute, si tu les crois, pendant qu’ils te disent que t’es un génie, aie la décence de les croire lorsqu’ils te diront que t’es un imbécile. Ça a fait : OK. Ça a relativisé les affaires, un peu.
OD : Mais est-ce qu’ils te l’ont dit que t’étais un imbécile?
MMB : Ah quelques années après, ils se sont pas gênés.
OD : Vos pièces sont tellement jouées à l’international, qu’est-ce que ça vous a appris, le regard des autres sur votre univers?
MMB : Bah c’est qu’on est pas mal tous pareil. Je dirais, c’est ça que ça m’a appris à quelque part, parce que t’sais, le théâtre a quelque chose de particulier. C’est, dans le sens, c’est un groupe d’individus, et particulièrement quand on parle des productions étrangères, qui sont pas de ma culture. Ils le montent pas parce que c’est moi, dans le sens, t’sais, y’a pas de show business là-dedans, y’a rien de ça. Ils me montent à cause de la pièce et à cause de c’est quoi le propos. Ils s’investissent pendant des semaines, voire des mois, dans une parole, dans une histoire, dans des personnages, qui vient d’ailleurs. Mais à quelque part, elle vient pas si d’ailleurs que ça, dans le sens que, je pense, je suis beaucoup monté à l’étranger à cause du fait que je raconte une histoire. Déjà là, c’est une affaire que j’ai apprise à l’université. Shakespeare raconte des histoires, et il les raconte tellement bien. Tchekhov raconte des histoires et il raconte tellement bien que, jouez-les tout nu, OK. Jouez-les en clown, mettez-leur des têtes de lapin, ça va marcher. Alors, ce qui fait que pour moi c’est très très important que la trame narrative soit solide, ce qui fait qu’à l’étranger, t’aperçois que oui, ça va être joué effectivement avec des têtes de lapin, puis tout nu et dans boucane pis toute, mais ça marche encore parce que la trame narrative est claire. Sauf qu’aussi, ces personnages-là, dans leur humanité, j’ose croire, bien j’ose croire, je le sais maintenant, les touchent dans leur propre humanité. Que ce soit autant, écoute, j’ai été monté en Asie, j’ai été monté en Afrique, j’ai été monté partout, beaucoup en Amérique latine. Peut-être aussi qu’en Amérique latine, c’est qu’il y a des échos face aussi des fois à la religion, à l’oppression, à ce qui fait que… qu’est-ce que ça m’apprend sur moi? Ça m’apprend que je suis pas tout seul.
OD : Vous avez, bon, on l’a dit, commencé avec l’effervescence, avec que ce soit les femmes, les gais, tout le bazar. Avez-vous l’impression que ces périodes fastes là ont donné des bons résultats pour le Québec et sa culture? Souvent, vous aviez rêvé… Est-ce que vous trouvez que c’est ce qu’on vit aujourd’hui?
MMB : Eh bien écoute, pour justement encore là dire voyager, quand on parle de l’effervescence. L’effervescence culturelle qu’il y a ici, c’est quand même unique. Pour le peu de population, la production artistique, parfois je trouve un peu trop... Il y en a trop, mais il n’en demeure pas moins, je trouve des fois qui manque un peu de position éditoriale, mais il en demeure pas moins que, il est encore possible que tout être qui aspire être un artiste ici peut le devenir. Peut-être, pour une fraction de seconde, peut-être pour toute la vie, mais il peut le devenir. Et de ce sens-là, je trouve que tout ça a été bâti beaucoup dans les années 80-90, dans le sens que, on a un ministère de la Culture, on a un Conseil des arts et c’est pas parce qu’Anne-Marie (Jean) est là que j’en parle, mais il n’en demeure pas moins que y’a une véritable volonté politique et indéniable. Il n’y a pas un gouvernement au Québec qui va reculer face à la culture, ça, c’est impossible. Alors, de ce sens-là, c’est pas qu’on veut pas plus, on a besoin de plus, mais comme je disais plus ciblé. Mais il n’en demeure pas moins que tout ça a été un apport… J’écrirais pas si y’avait pas eu d’aide. Je serais pas devenu qui je suis s’il y’avait pas eu cette espèce d’encouragement là parce qu’au départ, ce que j’écris est pas nécessairement commercial et de ce sens-là, j’avais un véritable support. Maintenant, depuis, je pense, près de 20 ans en tout cas, je demande aucune aide de l’État parce que je considère que je suis capable de, je gagne très bien ma vie et je vois pas pourquoi j’irais enlever de l’argent à quelqu’un qui en a besoin.
OD : Ça démarre comment une pièce de Michel Marc Bouchard?
MMB : Une intuition. J’ai beaucoup… Je vais vous donner un exemple qui est très frappant. Le voyage du couronnement, qui est une pièce qui a été créée en 95 par René Richard Cyr. J’ai vu une femme, la vision que j’ai eue, c’est une femme sur un bateau qui était comme un songe. Le bateau, le songe... Il faut absolument aussi que l’image ou l’impression demeure une obsession. Ça sert à rien si c’est évanescent et ça disparaît au bout de deux semaines. J’ai le luxe du temps aussi. C’est une chose qui est bien pour un artiste, dans le sens que j’ai le temps que mes intuitions, mes impressions, s’ancrent ou non. Et à ce moment-là, il y a eu quelque chose, une musique, et j’ai cherché une musique longtemps. Il y a eu Chopin qui est apparu. Après ça, OK, le conservatoire, mais c’est une pièce d’époque. Je médite autrement dit sur ces intuitions-là, puis après ça, bien, j’ai vraiment traversé l’océan sur un bateau, un cargo. Pis en plein milieu de l’océan, j’ai demandé au capitaine : vous me direz, quand est-ce qu’on sera en plein milieu de l’océan Atlantique? Il me l’a dit, à telle heure, mais il dit, il va être tard. Pas grave! Pis y’avait une tempête, il faisait pas beau, puis là j’appelais ma pièce, des affaires comme ça. Et j’ai écrit la pièce sur le bateau, puis en même temps, eh bien ça a pris 20 jours finalement. Voilà. Alors oui, ce sont des obsessions. Des obsessions, des tatouages de violence ou encore des obsessions romantiques ou… Et à quelque part, je pars avec, je creuse avec. Comme la prochaine pièce est beaucoup reliée au monde des tissus et du magasin de textiles de ma mère, où je fouille dans cet univers-là, dans…
Je m’appelle Nicolas Ouellet et vous venez d’écouter Dialogues, un balado produit par le Conseil des arts et des lettres du Québec, en partenariat avec le journal Le Devoir, BAnQ et Savoir Média. Musique et montage : Magnéto
Si vous avez aimé ce balado, poursuivez votre écoute dans les prochains épisodes avec Michel Tremblay, Joséphine Bacon et Kim Thúy.