Yvon Deschamps n’avait pas pu assister à la remise des insignes de l’Ordre des arts et des lettres du Québec le 29 mai 2017. Son insigne lui a été remis dans le cadre d'une activité-bénéfice au profit de l'Association sportive et communautaire du Centre-Sud, le 24 octobre 2017, à Montréal.
Ce soir nous rendons hommage à un homme exceptionnel, dont l’engagement et le talent n’ont d’égale que la modestie. Sachant à quel point Yvon Deschamps est mal à l’aise dès qu’on le complimente, comme s’il estimait ne pas mériter les fleurs et les accolades, je serai aussi brève que possible. Mais Yvon, il faut vous faire une raison, votre carrière est impressionnante et votre dévouement nous inspire. Alors… tenez bon!
Il y a trois ans, le Conseil a créé l’Ordre des arts et des lettres du Québec afin d’honorer des êtres qui ont transformé le paysage culturel québécois par leur imagination, leur art et leurs réalisations. Yvon Deschamps en fait partie mais il n’avait pas pu assister à la cérémonie de remise de l’Ordre en mai dernier. Je remercie donc Judi Richards et Chantal Comeau de l’Association sportive et communautaire du Centre-Sud de nous procurer l’occasion de lui exprimer notre admiration et notre reconnaissance aujourd’hui.
Le parcours d’Yvon Deschamps n’est pas banal. Sa créativité et son travail acharné l’ont fait passer de Saint-Henri à Westmount, de la Roulotte de Paul Buissonneau à la Rolls-Royce de Charlie Chaplin, du Quat’Sous à la fortune, du Mont-Royal aux Plaines d’Abraham, de la scène à la télé et, bien sûr, à l’histoire. Son Osstidcho a révolutionné la chanson québécoise et ses monologues ont fracassé des records d’assistance, notamment celui d’avoir donné 100 représentations de suite au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. S’inscrivant dans notre ADN collectif, son travail a inspiré des générations d’artistes, établissant l’humour comme source d’énergie renouvelable et richesse naturelle du Québec.
À travers tous ces accomplissements, Yvon Deschamps n’a jamais oublié d’où il venait et a passé sa vie à se réconcilier avec lui-même chaque fois que le destin et son travail risquaient de l’emporter ailleurs. Généreux sur scène comme dans la vie, ce grand philanthrope est un homme de parole et d’action, qui sert à rire et à manger.
L’argent, il l’a partagé pour faire fleurir l’espoir et adoucir le quotidien des plus démunis. Nous en avons été témoins la semaine dernière lors du gala de la société des auteurs et des compositeurs du Québec, qui lui rendait hommage pour l’ensemble de ses chansons. Yvon a composé une soixantaine de chansons. Il dit qu’il y en a deux ou trois de bonnes, et que les autres servent à habiller ses spectacles. Lors de l’hommage, on lui a remis un montant de 10 000 $, qu’il a tout de suite remis à Alan Côté, directeur du Festival en chansons de Petite-Vallée, pour aider la reconstruction de son Théâtre de la Vieille Forge, ravagé par un incendie l’été dernier. Voilà un autre exemple de sa générosité. Mais sa vraie richesse, il la trouve dans les yeux de Judi, dans la fierté de ses filles, le rire de ses petits-enfants et des enfants du Centre-Sud, dans l’estime de ses camarades et les témoignages d’affection qui fusent du public. Ce public dont il a testé les limites en cherchant toujours à aller au-delà de ce qu’il était prêt à accepter.
Aucun sujet n’est considéré intouchable par son esprit mordant. Il défend la raison du plus faible, déboulonne les préjugés, pourfend les abus de pouvoirs et dénonce l’intolérance. L’humour, c’est sa fronde, son cri du cœur, et le miroir qu’il nous tend, comme une main, pour nous sortir de cette zone de confort et d’indifférence qui devient une prison où l’on s’enferme par ignorance ou par peur. Ses mots tissent le fil qui nous lie dans notre humanité. Il sait nous émouvoir et nous faire réfléchir, nous faire rire et nous faire grandir en nous révélant à nous-mêmes.
Comme dans ses monologues où cohabitent un personnage d’une naïveté désarmante et un épais colérique qui lui permettent de dire le contraire de ce qu'il veut prouver, Yvon Deschamps est polarisé. Il masque son angoisse par des éclats de rire et glisse dans ses chansons les choses qu’il ne peut exprimer par la dérision. On sent bien que notre « vénéré bourreau » déborde de tendresse et c’est pour cela que son œuvre nous atteint et reste d’une grande pertinence.
Cher Yvon, connaissant votre ambivalence face à l’argent, vous serez sans doute ravi de savoir que l'Ordre des arts et des lettres du Québec ne s’accompagne d'aucune récompense financière. Mais il représente beaucoup d’amour, alors, je suis tentée de dire… « Aimons-nous ». Je vous invite à me rejoindre pour recevoir ce symbole de notre admiration et de notre reconnaissance qui marque votre entrée dans cette illustre famille de gens de cœur qui nous rendent fiers de notre culture.
Allocution prononcée le 24 octobre 2017 par Marie Côté, présidente du Conseil des arts et des lettres du Québec. Le texte lu fait foi.
Cet article fait partie de l’infolettre À L’OEUVRE du mois de novembre 2017.