« Comme c'est long d'arriver à ce qu'on doit devenir, remarquait Gabrielle Roy.
Le titre de son autobiographie, La détresse et l'enchantement, résume bien l'oscillation inhérente à la condition artistique féminine[footnote-ref ref="1"][/footnote-ref]».
En quelques décennies, les artistes québécoises sont passées de l'ombre à l'avant-scène culturelle. Leurs voix se sont élevées, de plus en plus puissantes et nombreuses. Les pionnières ont ouvert le chemin et une relève audacieuse leur emboîte le pas, mesurant le prix payé pour avoir le droit de voter, de lire, d'étudier, de décider, de déplaire, d'afficher ce qu'elles sont et de se ficher des critiques.
Dans leurs veines coule le sang de celles qui ont participé à la revanche des berceaux, signé Refus Global ou tout quitté pour venir au Québec en quête d'espoir et de liberté.
Les fées d'aujourd'hui ont toujours soif. Elles mettent au monde des œuvres qui affirment leur identité, leur originalité, leur résilience et leur volonté de brasser les cages aussi dorées soient-elles.
Engagées, passionnées, écorchées, essoufflées, elles naviguent souvent seules entre les écueils qui les guettent : précarité d'emploi, sous-rémunération, cumul des tâches, attaques sexistes amplifiées par les réseaux sociaux, manque de reconnaissance et reproches si elles font passer leur travail avant leur famille.
Les doubles standards persistent : certains attributs prisés chez les hommes sont décriés chez les femmes, comme avoir du caractère, tenir à ses idées et rechercher la perfection.
Malgré tout, elles prennent la plume, la parole et les rennes de nombreuses compagnies de théâtre, de musique et de danse ainsi que d'événements, laboratoires de création et institutions liées aux arts. Que l'on songe à Phyllis Lambert, Manon Barbeau, Marie Chouinard, Lorraine Pintal, Ginette Noiseux, Lorraine Desmarais, William St-Hilaire et Phoebe Greenberg.
Ce 8 mars, rendons hommage à celles qui ont forgé notre culture et continuent à l'enrichir par leur vision et leur créativité, leur sensibilité et leur détermination, leur travail et leur imagination.
Des femmes modèles du genre
Par leur ténacité, leur audace et leur talent, des créatrices de toutes disciplines sont devenues des modèles inspirants qui attestent la vigueur, l'originalité et la diversité de notre culture en s'imposant ici et à l'international.
Elles nous en font voir de toutes les couleurs et de toutes formes, comme Rita Letendre, Jana Sterbak, Nadia Myre, Barbara Claus, Diane Landry, Stéphanie Morissette et Chantal Harvey en arts visuels.
Elles composent et interprètent ce que l'on porte dans nos cœurs et nos oreilles, comme Angèle Dubeau, Marie-Nicole Lemieux, Nicole Lizée, Diane Dufresne, Régine Chassagne, Fabiola Toupin, Kyra Shaughnessy, Analia Llugdar, Ana Sokolovic, Emie Rioux-Roussel et Cléo Palacio-Quintin. "Chef" a beau être un mot épicène, force est de constater qu'il s'accorde le plus souvent au masculin. En ce sens, Lorraine Vaillancourt, Wanda Kaluzny, Véronique Lacroix et Dina Gilbert font figure d'exception au pupitre d'un orchestre.
Leurs écrits restent et résonnent en nous, comme ceux d'Anne Hébert, Kim Thúy, Marie-Claire Blais, Joséphine Bacon, Louise Warren, Nicole Brossard, Anaïs Barbeau-Lavalette, Jocelyne Saucier, Hélène Dorion, Ying Chen, Madeleine Thien et Andrée A. Michaud.
Elles mettent en scène nos vies, comme Denise Filiatrault et Marie Brassard, ou signent des textes coups de poing et coups de théâtre, comme ceux de Denise Boucher, Jovette Marchessault, Christine Beaulieu, Évelyne de la Chenelière, Véronique Côté et Marjolaine Beauchamp.
Elles ouvrent l’imaginaire des plus jeunes, comme Suzanne Lebeau, Ginette Anfousse, Isabelle Arsenault et Fanny Britt, Dominique Demers, Maryse Dubuc, Isabelle Desrosiers, Hélène Blackburn, Hélène Ducharme et Hélène Langevin.
Elles nous racontent mieux que personne, comme Kim Yaroshevskaya, Marta Saenz de la Calzada et Clémence DesRochers.
Elles nous projettent dans des jardins secrets, comme Alanis Obomsawin, Chloé Leriche, Brigitte Poupart, Jacynthe Carrier, Julie Tremble, Pauline Voisard, Carolane Saint-Pierre et Laura Rietveld.
Chloé Leriche a reçu le Prix du CALQ – Créatrice de l’année en Mauricie en mars 2018 pour souligner l’importance de son premier long-métrage Avant les rues.
Elles tissent, façonnent, ouvragent et refont le monde comme Louise Lemieux Bérubé, Geneviève Oligny, Paula Murray et Mireille Racine.
Elles défient la gravité et testent les limites du corps en piste comme Andréanne Leclerc, Stéfanie Lamoureux, Nathalie Hébert, Anny Laplante, Anne Lepage et Pauline Bonanni.
Tandis que le reste du monde déplore le manque de reconnaissance des femmes chorégraphes, le Québec peut se targuer de leur visibilité et d'être le terreau de Françoise Sullivan, Louise Lecavalier, Chantal Caron, Menka Nagrani, Francine Châteauvert, Emmanuelle Lê Phan, France Geoffroy et Daina Ashbee.
Daina Ashbee a reçu le prix du CALQ pour la meilleure œuvre chorégraphique pour son spectacle When the ice melts, will we drink the water? en 2016.
Bien qu'elles soient encore sous-représentées dans les livres d'histoire de l'art et aux cimaises des musées, les femmes ont gagné du terrain dans toutes les disciplines, y compris celles largement dominées par les hommes, comme la bande dessinée (Sylvie Rancourt, Julie Doucet, Zviane), les arts numériques (Allison Moore, Dominique T Skoltz) et les arts multidisciplinaires (Nathalie Levasseur, Jeane Fabb).
Quelques chiffres
- Le milieu du cinéma présente la même disparité que celui de la musique classique, dominé à 67 % par les hommes.
- La palme de la polarisation revient à la danse, dont 86 % des interprètes sont féminines.
- Toutefois, il y a une participation équilibrée des sexes en arts visuels et en littérature.